Par Alexandre Lepage, Directeur principal, Entreprise numérique
Introduction
Microsoft (Halo) annonçait dernièrement son intention d’acheter Activision Blizzard (Call of Duty) pour la somme rondelette de 68.7 milliards USD. À moins d’un refus des investisseurs ou des régulateurs gouvernementaux, cette acquisition fera du géant de Redmond le troisième plus gros joueur de l’industrie après TenCent (League of Legends) et Sony (Last of Us).
Les consolidations sont monnaie courante dans le fabuleux monde du jeu vidéo. Cependant, cette dernière, si acceptée, sera non seulement la plus grosse acquisition de l’histoire de cette industrie, elle sera également la plus grosse de l’histoire de Microsoft. Et de loin.
Référence Visual Capitalist (2022)
La question qui tue (finish him!) : pourquoi une telle acquisition?
Pourquoi?
En 2021, Accenture estimait le marché mondial du jeu vidéo à plus de 300 milliards USD[1]. Dans un contexte pandémique qui perdure, cette valeur n’est pas particulièrement étonnante. Satya Nadella, CEO de Microsoft, faisait observer récemment que de toute l’industrie du divertissement, la catégorie du jeu vidéo était celle qui connaissait la plus grosse croissance, surpassant le cinéma, la télévision et la musique[2]. Sachant qu’il y a aujourd’hui de l’ordre de 3 milliards de joueurs dans le monde (j’en suis, depuis Pong dans les années 70!) et qu’on prévoit qu’ils seront 4.5 milliards en 2030, on ne peut s’étonner que Microsoft cherche, en acquérant Activision Blizzard, à fidéliser une gigantesque clientèle, peut-être à l’aide de titres exclusifs ne serait-ce que temporairement, et assurer la croissance de ses revenus.
Une entreprise de la taille de Microsoft (2.39 mille milliards USD ces jours-ci) peut certainement se permettre une dépense de près de 69 milliards USD. Mais, malgré quelques chiffres vertigineux, pourquoi investir justement dans le jeu vidéo? Plus particulièrement, quel est l’apport attendu de cette acquisition dans les revenus de Microsoft?
Microsoft publiait en octobre dernier les états financiers pour le premier trimestre de son année fiscale 2021[3]. On y apprenait que les 45.3 milliards USD de revenus rapportés se découpaient comme suit :
Les revenus des principaux secteurs d’activité de Microsoft sont bien balancés bien que ceux du cloud intelligent demeurent légèrement supérieurs. En revanche, les revenus d’Azure ont connu une croissance de 50% par rapport à la même période l’année précédente. À dire vrai, les revenus générés par le cloud intelligent de Microsoft continuent de s’éloigner du peloton. L’objectif de Microsoft en acquérant Activision Blizzard est-il alors d’augmenter les revenus de son secteur usage personnel et de rééquilibrer le tout? Possible. L’objectif peut-il être aussi d’accroître les revenus Azure? Définitivement.
Azure for Gaming
Pour une firme comme Larochelle Groupe Conseils, compte tenu de nos clients, on a tendance à oublier qu’il y a toute une offre pour le développement de jeux vidéo sur Azure. Et quels sont les avantages offerts aux studios de développement par le cloud public de Microsoft? Exactement les mêmes que ceux offerts aux autres types d’entreprises :
- Actualité et nouveauté des technologies;
- Fiabilité, disponibilité, redondance et globalité du service;
- Sécurité des données et contrôle des accès;
- Extensibilité automatique du stockage;
- Élasticité computationnelle.
La documentation en ligne d’Azure liste toute une série de réalisations propres aux jeux vidéo. Par exemple :
Ubisoft
Ubisoft a développé et roule Rainbow Six Siege sur Azure. Ce jeu en ligne compte plus de 70 millions de joueurs enregistrés, dont plusieurs dizaines de milliers toujours actifs malgré le fait que le jeu ait bientôt 7 ans[4].
Ubisoft bénéficie d’abord de la globalité du service Azure. Parce que les serveurs virtuels du jeu sont répartis dans diverses régions du globe, les joueurs se connectent à des serveurs locaux et profitent d’une latence réduite, ce qui est crucial lorsque la victoire dépend d’une fraction de seconde. Ubisoft tire également parti de l’élasticité computationnelle d’Azure. Le nombre de serveurs du jeu, lesquels sont vraisemblablement gérés par groupes de machines virtuelles identiques (virtual machine scale sets), augmente automatiquement pour répondre à des périodes de pointe et diminue lorsque la demande baisse. Autoscale.
Next Games
Lors du développement de The Walking Dead : No Man’s Land, Next Games a opté pour Azure Cosmos DB comme couche de persistance.
Next Games emploie Cosmos DB pour y stocker les profils des joueurs et les métadonnées d’état. Celles-ci sont volumineuses et doivent être écrites ou lues en moins de 10ms afin d’offrir une expérience en ligne satisfaisante aux joueurs. Ici aussi, la globalité du service et l’élasticité computationnelle d’Azure Cosmos DB, technologie offerte en mode PaaS, ont été déterminantes dans le choix de Next Games.
IO Interactive
Pour la série Hitman, le studio IO Interactive s’est payé la totale sur Azure!
Azure répond aux besoins d’Io Interactive à la fois au niveau de l’infrastructure cloud et au niveau analytique. Azure App Service pour certaines fonctionnalités applicatives. Azure Service Fabric pour l’orchestration des micro-services conteneurisés. Des comptes Azure Storage et des instances Azure SQL Database pour la persistance des données. Azure Event Hubs et Azure Stream Analytics pour l’ingestion des données en flux continus et l’analyse en temps réel. Azure Data Factory pour le déplacement de données de sources vers récepteurs (sinks). La totale, je disais.
Ce ne sont là que quelques exemples concrets de ce que font certains studios de développement sur Azure. Et non contents d’offrir une gamme de services cloud en mode IaaS, PaaS et SaaS, Microsoft propose toute une panoplie d’architectures en réponse à divers cas d’usage et charges de travail. Par exemple, cette architecture pour du matchmaking multi-joueurs en mode serverless :
Ou celle-ci pour la modération des contenus en ligne (y aurait-il des joueurs désagréables ?!?) :
Conclusion
Le jeu vidéo moderne est en ligne. Il est multiplateforme. Il se joue sur toutes sortes d’appareils, du PC au mobile en passant par les consoles. En commentant l’annonce des intentions de Microsoft face à Activision Blizzard, Satya Nadella disait[5] « We need to make it easier for people to connect and play great games, wherever, whenever and however they want. Today, we face strong global competition from companies that generate more revenue from game distribution than we do from our share of game sales and subscriptions. We need more innovation and investment in content creation and fewer constraints on distribution ». Oui, l’acquisition espérée contribuera au « play great games ». Mais le « wherever, whenever and however they want », c’est Azure qui y veillera.
En acquérant Activision Blizzard, Microsoft s’assure peut-être d’une plus grande base de clientèle. Elle s’assure certainement d’un plus grand nombre de studios qui développeront des jeux vidéo supportés par Azure. Que faisait Satya Nadella déjà avant de devenir CEO de Microsoft? Ah oui, il était le vice-président exécutif responsable d’Azure. On lui en attribue même le succès.
[1] https://newsroom.accenture.com/news/global-gaming-industry-value-now-exceeds-300-billion-new-accenture-report-finds.htm
[2] https://www.gamespot.com/articles/microsoft-ceo-explains-why-buying-activision-blizzard-is-the-right-move/1100-6499738/
[3] https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-10-26/microsoft-s-cloud-computing-strength-fuels-sales-profit-growth
[4] https://techacake.com/rainbow-six-siege-player-count/
[5] https://www.gamespot.com/articles/microsoft-ceo-explains-why-buying-activision-blizzard-is-the-right-move/1100-6499738/